Hier, avec Claude Zuber nous avions rendez vous à la DIRECCTE pour faire le bilan de l'Usine à Projets 1.0. Ce rendez-vous était important pour moi, une page est vraiment tournée. J'ai apprécié les échanges avec le Directeur départemental. Il souhaite clarifier les apprentissages que nous avons réalisé avec l'accompagnement en équipe. Depuis le début de l'aventure de l'Usine à Projets, j'étais crispé dans ma relation avec l'Etat. Le début de notre relation avait été difficile et tumultueux. Comme d'habitude, les responsabilités sont vraiment partagées. Dans cette réunion de bilan, j'ai trouvé un état d'esprit différent, constructeur. Pour préparer le billet sur le bilan, j'ai décidé de publier une petite histoire, écrite l'année dernière, de cette Usine à Projets.
1er volet 2007 - 2009
Le besoin exprimé
Fin 2006, Heineken Entreprise lance un appel à projets pour revitaliser le bassin d’emploi de Schiltigheim, Bischheim et Hœnheim. Un plan social va supprimer près d’une centaine d’emplois. Une loi Borloo 2004 impose aux entreprises qui font plus de 1000 personnes et qui se portent bien financièrement d’investir pour re-créer des emplois sur le bassin.
Claude et moi sommes informés alors que nous commençons notre formation aux méthodes de coaching d’entrepreneurs à Team Academy en Finlande. Pendant cette première session de formation, nous rencontrons Charles van der Haegen et Robert Collart, deux consultants Belges, préconisant des méthodes de management radicalement participatives. Ils introduisent des worldcafés dans les entreprises.
L’école d’entrepreneur
Avec C
laude, nous tentons depuis le début de 2006 l’idée de créer une Team Academy en Alsace. Nous sommes vraiment attachés à cette école finlandaise exceptionnelle qui montre des résultats et une énergie étonnante. Notre rêve était de faire la même chose en Alsace.
La recherche d’Heineken nous questionne. Mais l’idée de proposer une école alors que l’objectif est de créer de nouveaux emplois nous semble trop éloignée. Nous nous apprêtons à ne pas répondre à l’appel à projet.
Voyage apprenant et Intersection
Début 2007, nos nouveaux amis Belges nous contactent : ils ont du temps pour venir nous rencontrer à Strasbourg. Ils souhaitent faire un voyage apprenant en Alsace. Nous les recevons et nous faisons plus profondément connaissance, nos histoires personnelles, nos désirs. Je propose alors de travailler sur la question posée par Heineken Entreprise : « Comment créer de nouveaux emplois à Schiltigheim, Bischheim et Hoenheim ? »
Deux journées très intenses sont lancées. La culture que nous apprenons Claude et moi à Team Academy, c’est le travail en équipe. La culture de Charles et de Robert, c’est la coresponsabilité et la créativité. Se rajoute aussi la confiance : Charles et Robert croient que les vrais gens sont capables de changer la donne pour peu que l’on crée des conditions appropriées. Alain de Vulpian éclaircit cette croyance dans « A l’écoute des gens ordinaires ».
Deux domaines se rencontrent à nous quatre. L’entrepreneuriat en équipe est mis en action par Team Academy depuis 12 ans sur la base des travaux de
Peter Senge (Sloan departement M.I.T.) décrits dans la 5ième discipline et aussi les travaux de Nonaka sur la création de connaissances. Le management participatif est traversé par les courants anglosaxons. Des techniques comme le worldcafé rendent possible la co-création et la co-décision à 20, 50, 300 personnes.
Avec Claude, Charles et Robert, nous dessinons « Les Usines à Projets » sur des pages blanches, dans les locaux de Créacité, la couveuse dont Claude et Président et moi responsable. Je découvrirai plus tard l'Effet Medicis qui décrit l'intersection entre des cultures comme un lieu d'innovation fécond.
Les Usines à Projets
C’est le premier nom que Robert avait trouvé pour cette drôle d'action. Les principes élaborés à la naissance des « Usines à Projets » sont :
- « La dynamique économique d’un territoire c’est la dynamique économique des citoyens »
Premier principe des Usines à Projets, c’est aux citoyens qu’est confiée la coresponsabilité de créer de nouveaux emplois. Habituellement, cette responsabilité était confiée à des acteurs institutionnels ou privés. Cette fois, les citoyens vont pouvoir passer à l’action et créer le futur dont ils rêvent. Ce principe a été extrapolé des travaux de Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers.
- « Pour les gens, par les gens »
Ce deuxième principe est aussi posé par Charles. Les Usines à Projets sont une action d’un nouveau genre. Ce sont les participants eux-mêmes qui créent des actions à l’intérieur. Ce sont les participants qui sont les principaux « utilisateurs » de ces actions.
- « De grands évènements pour créer des projets »
Ce sont les worldscafés devenus Cafés à projets qui permettent aux participants de lancer leurs projets puis de continuer à y travailler ensemble.
- « Travailler en équipe auto-organisée»
L’équipe est le creuset du développement des rêves et des compétences de la personne qui souhaite passer à l’action. L’équipe permet de construire en même temps de nouvelles attitudes (apprendre à écouter, à rencontrer, à demander de l’aide) et des compétences (créer son projet, faire un business plan). Mais l’équipe facilite aussi le passage à l’action. Par le réseau de chaque membre de l’équipe, chaque participant est invité à rencontrer, parler de son idée, de son projet, de son produit, et d’apprendre de son « potentiel client »
- « Apprendre par l’action »
Dans Les Usines à Projets, rien ne doit être programmé, réalisé, sans qu’un besoin ai été signifié par les participants. La capacité de réaliser un projet augmenter avec l’apprentissage du porteur de projet. Quand celui-ci élabore des apprentissages à partir de ses actions ou par le partage d’expérience en équipe, les résultats sont potentiellement plus nombreux : création plus rapide, changement pour un objectif plus atteignable, retour à l’emploi
Comité de revitalisation
Deux semaines plus tard, avec Claude, nous participons à un comité pour présenter notre projet. Ce comité de revitalisation est composé de d’élus, de représentants d’Heineken Entreprise, de la Direction Départementale de l’Emploi, du Conseil Général, de la Chambre de Commerce et d’Industrie et de la Chambre des Métiers.
Notre travail d’équipe avait produit plein de pages de paperboard transformées en une présentation powerpoint. Après la présentation, grand silence chez les participants. Quelqu'un dit, « vous n’avez pas fixé d’objectifs, cela ne va pas ». Cette première remarque me touche car je me demande comment fixer des objectifs à des vrais gens. Mais des objectifs seront fixés plus tard.
Une autre personne dit « On va le faire », une autre « C’est d’accord »… « Prenez contact avec la Préfecture, un cofinancement pourrait être rapidement disponible ». Nous sommes en février 2007.
L’équipe et l’attente
Un intense travail se prépare, nous réalisons nos premières erreurs, nous apprenons beaucoup. Avec Charles, Claude et Robert, même si nous apprenons à coacher des entrepreneurs avec les méthodes de Team Academy, nous avons beaucoup de mal à former une équipe autour de ce projet. De nombreuses questions viennent violemment tester nos convictions pendant cette année. Des questions de confiance, de coresponsabilité, de solidarité, d’argent ou de besoin d’argent et aussi de santé. Je n’en ai pas eu conscience : nous étions dans un processus de développement d’équipe, sans accompagnement. Le projet a mené sa propre route, peut-être lui aussi touché par les erreurs de son équipe. La convention entre l’Etat et Heineken Entreprise était signée en septembre 2007. « Les Usines à Projets » étaient remplacées par « L’Usine à Projets » : un micro trottoir réalisé avec Charles et Robert avait permis de tester le nom et un citoyen ordinaire avait posé l’idée que « l’Usine à Projets » c’était plus simple que « Les Usines à Projets ».
Un café à projets ? Non, deux !
Courant novembre 2007, je prépare les premiers cafés à projets. Ils sont sensé nous faire rencontrer nos premiers participants. Difficile de créer une nouvelle action avec un nouveau nom… Mes contacts avec les acteurs du terrain sont difficiles à faire aboutir. Je me questionne sur mes compétences de communiquant. J’étais commercial, là, c’est différent.
En prenant un modèle sur une affiche promotionnant un groupe de rock, je crée l’affiche des Cafés à Projets. En utilisant mes réseaux, des entrepreneurs, des futurs entrepreneurs, en utilisant les réseaux de Claude, nous nous retrouvons avec Charles et Robert le 29 novembre après-midi pour préparer notre première action. Près de 30 personnes sont inscrites sur un site internet créé avec peu de chose, c’est un wiki !
Le lendemain soir, action ! il y a 16 personnes dans la salle du foyer protestant que nous avons loué. Le lendemain matin, c’est encore 15 personnes de plus ! A la fin des cafés, les participants décident de se retrouver pour continuer à travailler ensemble pour réussir leurs projets !
Première équipe
La semaine suivante, tout est joué, près de 20 personnes se retrouvent pour commencer à partager des expériences, rechercher des bonnes pratiques. Cette première équipe va animer l’Usine à Projet pendant près d’une année. Rapidement, les principes d’émergence et de travail en équipe créent de premiers résultats : une première création d’activité, 4 mois après le lancement de l’Usine à Projets. Une personne lance une activité de conseil en habitat durable – Elle habite en dehors du bassin d’emploi de Schiltigheim, Bischheim et Hœnheim, sa performance ne comptera pas dans les résultats que l’Usine doit atteindre : l’objectif a été fixé à 30 emplois nouveaux pour la première année !
Pendant une première année, L’Usine à Projets est locataire du Foyer Protestant de Schiltigheim, deux jours par semaine.
Pendant cette année là, notre équipe avec Charles et Robert cesse d’exister. Sans accompagnement, nous n’avons pas été en mesure de dépasser ensemble ce qui nous séparait. Cela s’appelle « être dans le processus ». Une équipe peut difficilement émerger seule. Il lui faut un accompagnateur qui ne cessera de lui dire « quel est votre rêve ? », « qu’avez-vous besoin d’apprendre pour réaliser votre rêve », « est-ce bien cela que vous voulez faire ? »…
L’Usine à Projets : 2008
Pendant cette première année, je rode les processus d’émergence et de travail en équipe. J’ai d’abord besoin d’en faire trop : je crée 2 à 3 sessions d’accompagnement par semaine, le matin, l’après midi, le soir… Je programme un Café à Projets tous les mois… Finalement, cette première année se solde par 13 créations d’emplois. Près de 6 créations ne sont pas acceptées car elles sont en dehors du cadre de notre contrat avec l’Etat et Heineken.
Côté action, il semble que toutes les sessions que je crée n’orientent pas plus de personnes vers l’Usine à Projets et que les participants aient besoin de temps pour évoluer.
J'ai joué à l’opposé des principes. Au lieu de proposer aux participants de créer leurs propres moments de rencontre, de travail en équipe, je l'ai fait à leur place. Il faut simplement créer un planning vide, que les participants rempliront eux-mêmes.
L’anniversaire de cette première année est particulièrement émouvant. L’équipe de coach de Team Academy est venue de Finlande, 9 personnes se formant aux pratiques d’accompagnement de Team Academy sont venues d’europe pour participer à une session de formation à Strasbourg. Ensemble, ils créent un évènement très chaordic (voir Dee Hock, créateur de la marque VISA).
L’Usine à Projets : le lieu
A Schiltigheim, une nouvelle équipe municipale s’impose. Avec Claude, nous rencontrons Claude Bucher, Adjoint au Maire en charge de l’économie. En trois phrases, Claude Bucher va comprendre notre action et aussi notre besoin : un lieu pour entreprendre. La semaine suivante, nous visitons avec lui deux potentiels endroits pour installer l’Usine à Projets. Un mois plus tard, c’est réglé, nous avons les clés, pour un loyer très modéré !
Certains volontaires dans la première équipe avaient dédié de leur temps pour préparer cet aménagement. Ils ont construits une vision partagée pendant 4 ou 5 sessions. Dès que nous avons eu les clés, ils m’ont juste demandé d’acheter de la peinture !
Incroyable synchronicité, cet été là, une participante enthousiaste me téléphone : « Il faut que tu viennes avec 5 personnes et un camion, tout le matériel qui reste dans le bâtiment peut être utilisé par des associations ! »
Ce sont les citoyens qui ont fait l’Usine à Projets. Et quand je dois m’occuper de quelque-chose, nous mettons 3 mois à avoir internet !
L’Usine à Projets : 2ième année
Je cesse mon agitation permanente. Il y a moins de Cafés à Projets, seule une session d’accompagnement en équipe le lundi matin, parfois des sessions d’apprentissage l’après midi.
De nouveaux visages, de nouveaux projets arrivent. De nouveaux processus s’activent :
- La transmission intergénérationnelle : les réussites des premiers participants, leurs créations, inspirent les nouveaux ! Les principes de l’Usine à Projets sont aussi communiqués des plus expérimentés vers les nouveaux par la rencontre, formelle ou non !
- La complexification des projets : la première année avait été l’année des projets unipersonnels. Toutes les créations de jobs étaient le fait de personnes qui s’engageaient seules dans leur projet. En 2009, près de 4 projets concernent au minimum 2 personnes. Je l’interprète comme un signal. Il faut plus de moments pour que les personnes se rencontrent.
- L’espace de travail à l’Usine à Projets propose aux participants de sortir de chez eux pour travailler. C’est un espace de coworking en devenir, pouvant apporter des ressources financières à l’Usine à Projets. Des premiers utilisateurs s’installent.
- L’hybridation : Yann et Stéphane sont deux entrepreneurs de nouvelles technologies. Ils animent à Strasbourg les Barcamps : journées de créativité. Ils proposent d’organiser un Barcamp à l’Usine à Projets. Très bon moment de fertilisation, de rencontres et d’action : Philippe Kuhn et Cathie Fanton lancent un projet génial, un Open Forum à 100 personnes ! Apprentissage : des moments fertiles comme le Barcamp sont les conditions pour créer des projets forts !
- Des évènements exceptionnels :
- L’Open Forum est un succès : plus de 120 personnes sur 2 jours pour co-créer autour des projets de chacun, pour apprendre des expériences des autres, tisser des liens, imaginer la suite de l’Usine à Projets. Une grande diversité : des demandeurs d’emplois, des porteurs de projets, des entrepreneurs aguerris, des jeunes…
C’est aussi le second projet transversal de l’Usine à Projets, le 1er c’était le lieu. Je n’ai pas proposé le dialogue comme outil à l’équipe projet et cela a créé des incompréhensions, des difficultés entre les membres de l’équipe.
- L’anniversaire est délirant, auto-organisé, grand moment de lâcher prise !
- L’Usine à Projets tente aussi de nouvelles expériences d’émergence :
- le Café Collision, sympathique tentative de faire créer aux citoyens des idées nouvelles. Apprentissage : seule une équipe peut trouver la force et les ressources pour proposer aux citoyens de se rencontrer et créer des idées. Tout seul, cela marche un peu. Pas assez !
- le Café Economie verte : avec Claude Bucher, nous sommes partis de l’idée de créer plus de projets d’économie verte. Deux sessions ont été programmées. Apprentissage : il y a un terrain pour co-créer avec les élus. Il faut répéter ce type de session pour impacter le tissu social effectivement.
- J’apprends énormément mon métier d’accompagnateur en équipe :
- Je laisse entrer dans l’Usine des personnes moins autonomes. Grâce à elles, l’équipe peut tester l’adage « nous sommes aussi fort que le plus faible de nos membres »,
- Je teste les limites : Je laisse entrer dans l’Usine des personnes dont les valeurs questionnent celles de l’Usine à Projets : peu ou pas de coopération, de dialogue ou leadership de domination. Là aussi, l’équipe teste ses limites. Je teste ma responsabilité de coach : maintenir l’équipe en sécurité.
- L’Usine à Projets, c’est par les gens pour les gens. En septembre, prise de conscience de nombreuses sessions sont lancées pour faire émerger le futur de l’Usine à Projets. Le financement Heineken s’arrête vers la fin de 2010. C’est un fait mais aussi une opportunité. J’aurais moins de temps à consacrer à cette Usine. Un processus de civilisation doit s’engager conformément à la vision de Charles. Maladroitement, je teste des sessions sur le futur lointain 2011 2013. L’ambiance est bonne, la vision des participants est enthousiasmante, l’engagement faible.
Saisissant l’opportunité d’un rapprochement avec un autre projet inspirant, nous lançons des sessions de vision partagée sur « Babelle à Projets » - L’intersection de L’Effet Medici, une fois encore. C’est avec une autre intersection, l’histoire des pingouins sur leur banquise, j’ai compris lentement que le sentiment d’urgence était un levier puissant – et amusant - pour faire émerger des communautés entreprenantes.
En 2009, L’Usine à Projets à supporté la création de 30 activités nouvelles.
Les commentaires récents